Avertissement clair
(3/03)
Etudiants de première année à l'université, mes camarades de chambre aimaient grimper sur le toit de notre dortoir pour jeter des verres d'eau sur la bande qui s'assemblait dehors, toute en bruit et provocation, tôt chaque samedi matin pendant la saison de football. Un week-end l'autorité en place en eut assez, et un conseiller est entré à pas-de-loup, moitié conspirateur, pour griffonner une note et l'afficher sur la porte menant au toit: FROSH NON AUTORISEE SUR LE TOIT - SURTOUT PAS POUR JETER DES CHOSES. Il l'a signée "Fair Warning" (Avertissement Clair) Nous avons pigé l'allusion, et quand à l'aube la police du campus s'est matérialisée dans notre chambre, nous cuvions scrupuleusement les débordements de la
nuit.
Je pense souvent à cette note quand je parle avec mes compatriotes - ou plutôt, je ne leur parle pas. Le passe-temps qui balaie maintenant le pays, est de ne pas parler de la guerre, comme si elle allait disparaître par quelque magie. Surpris par la position pro-guerre de principe d'une amie, j'ai essayé de lui expliquer quelle terrible erreur c'était. Elle ne voulait rien comprendre: " Tu ne vas pas m'attirer dans ce piège - Je ne veux pas en discuter avec toi." Ah, c'est donc ce dont parlait Robert Byrd quand il a mentionné l'"Assourdissant Silence" du Sénat ". Il doit ressentir la même frustration que des millions d'entre nous, qui essayons de donner un Avertissement Clair à nos concitoyens. Je parlais avec un ami dont le fils à ce qu'il semble, décampe déjà au vu de cette anxiété, que je partageais - une réelle peur tord-boyau qui tient tant de nous réveillés la nuit - et je pensais à une ligne qu'un écrivain à l'esprit plus vif que le mien, avait écrit récemment: "Qui pilote cet avion?" C'est ce même sentiment d'impuissance, de ne pas pouvoir se faire entendre qui envahit notre sentiment d'échec menaçant - et oui, de colère. Envers - vous-même? Bush et sa bande de voleurs? La presse? Notre bouche-cousue et notre régime-gavage de bouffe rapide et de TV réalité?
Nous sommes dans un train fou (train, avion ou auto - peu importe la métaphore ) et le sentiment irrépressible est que le conducteur ne s'en soucie pas. Opinion mondiale, les avertissements sincères d'experts de l'armée et du renseignement, nos alliés - rien ne peut pénétrer le dense brouillard de la prétendue foi - basée sur la résolution d'une junte à éviter une falaise. Et quand la guerre vient, quand peut-être des centaines de milliers d'Irakiens innocents sont morts, avec jusqu'à 10 000 des nôtres, garçons et filles, dont la plupart voulaient juste essayer de s'instruire - alors quoi?
Nous avons échoué à apprendre les fortes leçons de l'histoire, les leçons dont les Etats-Uniens sont énormément fiers d'avoir participé à les enseigner. Ils sont nombreux dans le mouvement anti-guerre, auquel j'applaudis, à faire remarquer à juste titre que les parallèles entre l'Allemagne Nazie et l'Irak sont inexacts, et que l'abus de ce parallèle historique mal appliqué peut difficilement justifier de frapper. Je suis d'accord, et je fais remarquer que le parallèle est aussi dépassé, s'il n'est pas de la même échelle ou genre, étant alors du simple ressort du droit international. Robert Jackson, le président de la Haute Cour de justice au Tribunal des Crimes de Guerre à Nuremberg, voulait s'assurer avant toute autre chose que les Nazis savaient que ce qu'ils avaient fait de mal, "n'était pas d'avoir perdu la guerre, mais de l'avoir commencée." Cet acte - agression non provoquée contre un état-nation souverain et pair - était le premier et le plus conspué des crimes de guerre, précisément parce que le chaos de la guerre permet tous les autres.
Si nous permettons à notre gouvernement de lancer cette guerre en nos noms, nous pouvons nous attendre au même sort que les autres pays qui ont commencé des guerres : sanctions, boycottages, embargos, actifs gelés. Bien sûr, il devrait aller de soi que ce sera le résultat du jugement d'autres, pas du nôtre. Il n'existe pas une seule guerre dans l'histoire où l'agresseur n'ait pas prétendu avoir été provoqué. Personne ne se soucie du genre de documents forgés que nous pouvons mijoter, ni du nombre d'Etats-Uniens que le gouvernement peut duper. Toutes les saloperies puériles, macho, crâneuses, toutes les "Freedom Fries" (Frites de la Liberté) et "Liberty Toast" (Toasts à la Liberté) du monde n'enlèveront pas le goût amer qui pollue les bouches de l'Opinion Mondiale. Notez bien mes paroles : cette guerre signale le commencement de la fin des Etats-Unis comme puissance mondiale. Au cours des toutes prochaines décennies, notre niveau de vie dérapera tandis que la communauté mondiale nous tournera le dos. Pourquoi devrait-il en être autrement? Comme Paul Simon chantait à propos d'une guerre différente voici une génération : "Vous ne pouvez pas vous attendre à être brillant et bon-vivant si loin de chez vous/si loin de chez vous." (You can't expect to be bright and bon-vivant so far away from home…)
Pour la génération intermédiaire, il ne s'est toutefois rien produit de ce genre. Donc pourquoi est-ce que je colporte l'échec aujourd'hui? La réponse est simple : ILS N'Ont Plus Besoin de Nous. Après que le monde ait reculé devant l'horreur qu'était le Vietnam (et pour reculer ils ont reculé), nous étions encore dans les griffes de la Guerre Froide. Les peuples avaient besoin - ou du moins nous pouvions les en convaincre - de choses que nous avions et qu'ils n'avaient pas : l'équilibre de la terreur à une époque de Destruction Mutuelle Assurée. Tout était coloré par la rhétorique d'une époque dont nous sommes bien débarrassés - une époque que le Bush actuel et ses régents auto-couronnés nous feraient revivre.
La différence est que l'impasse nucléaire insensée est une relique dangereuse en ces temps de changement. Le terrorisme (en supposant que nous ne parlions pas de la terreur massive de l'état, infligée par les gouvernements aux populations, à la leur et à d'autres, au nom de la "démocratie", de la "guerre 'à la drogue", de la "guerre au terrorisme", etc.) est vraiment un problème différent. Des états en Europe et ailleurs ont combattu d'eux-mêmes le terrorisme pendant des décennies, et ils sentent avec raison que nous n'avons rien de nouveau à leur apprendre, surtout si cela consiste à utiliser une masse de 5 kilos pour enfoncer une pointe sans tête. Economiquement, les Etats-Unis ne sont qu'un autre joueur déjà sur le terrain, avant la future explosion quand les économies chinoise et indienne développeront leur potentiel. Pour faire simple, Bush et ses amis PDG peuvent saisir que faire chier sa clientèle, c'est mauvais pour les affaires.
Hélas, est-ce qu'il ne nous est rien laissé d'autre que d'écouter braire le Viel Homme Contrarié qui sabre chacune de nos tentatives de suivre une voie différente et d'avoir à présent l'audace de suggérer que nous n'avons nul autre ailleurs où aller ? Les artisans de la peur et les va-t'en-guerre se délectent de rabattre nos espoirs et nos rêves à propos de ce qui est possible. Comment osent-ils? Qu'ont-ils forgé, avec tout le sang que nous avons versé, avec toute l'intelligence déviée vers leur technologie de mort, avec lers milliards détournés pour la "défense" pendant que des millions de gens sont affamés et meurent de maladies facilement curables. Peut-être Ronald Reagan, le Roi des Simplets, avait-il raison après tout avec ses réponses simples. De même que les monstres ont appris à tirer de l'énergie de rires bébêtes plutôt que de cris dans Monsters Inc - il nous faut apprendre à dépenser notre énergie presque illimitée à changer notre manière de vivre au lieu de l'étayer avec les os des enfants du monde.
Est-ce que ceux qui ont hypothéqué l'avenir de nos petits-enfants au bénéfice de leurs guerres et profits, vont vraiment nous dire que nous n'avons pas d'argent? Je le sais en citant un dessin animé d'Hollywood peut-être simpliste, et délibérément ainsi. Mais à quels obstacles peuvent-ils faire appel pour bloquer notre poursuite d'un avenir différent, obstacles qu'ils ont simplement souhaité dans le champ de maïs par souci de leurs propres poursuites insensées ? Qui ose se tenir debout et garder son sérieux, en ayant gaspillé notre passé à la poursuite de pétrole bon marché, et dire que changer le cours des choses est plus qu'une question de volonté?
Pour être juste, la Junte de Bush n'est pas cause de tout ceci - bien que leurs semblables aient joué un premier rôle dans le mauvais film dont la bobine finale se dévide à présent. Mais ils font une erreur colossale, un mauvais tour incroyable à l'un des carrefours les plus cruciaux de l'histoire. Tandis que nous choisissons de les suivre ou de ne pas les suivre au-dessus du précipice, nous devons le faire les yeux bien ouverts. Tandis que nous sommes les premiers à prendre la ligne droite, combattant et espérant contre toute espérance mettre fin à ce
cauchemar, il faut que nous soyons bien obtus à propos de l'enjeu. Je me sens comme le psychiatre qui a dit à Carmella Soprano de quitter son mari, en sachant parfaitement bien qu'elle était trop attachée à La Vie pour pouvoir suivre un conseil avisé. "Bien," a-t-il dit finalement, carrément "au moins vous ne pourrez pas dire que personne ne vous l'a jamais dit."
© 2003 Daniel Patrick Welch. Reproduction et diffusion encouragées.
Traduction française militante de Christian P.
Briard, île de la Réunion.
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Welch vit et écrit à Salem, Massachusetts, USA, avec sa femme, Julia Nambalirwa-Lugudde. Ensemble ils font fonctionner
The Greenhouse School
Cet article a aussi été diffusé sur KFJC Los Altos Californie. Que les personnes intéressées à diffuser la version audio (enregistrement électronique disponible) veuillent bien contacter l'auteur. Welch parle plusieurs langues et est disponible pour des enregistrements en français, allemand, russe et l'espagnol à condition d'une traduction fiable, ou, sinon, pour des échanges téléphoniques dans la langue-cible. Il a aussi chanté et récité lors d'événements antiguerre et il est disponible (libre) pour un nombre limité d'engagements sous réserve de son agenda. D'autres articles, autocollants pour des manifestations à venir et d'autres "matériaux" sont disponibles sur :
danielpwelch.com
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